“ L’apprentissage sur le terrain est essentiel, rude, sévère, il ne laisse place à aucune des erreurs qui peuvent être fatales pour les hommes comme pour le matériau. Le danger est omniprésent. Une vigilance de tous instants permet de conduire les flammes, le bois est l’indispensable matériau permettant la réussite de la coulée.”
Incidents de la vie aux forges ayant entraînés la mort
Une mort peut sembler normale, si l’on ajoute un acte pour monter son arbre généalogique, ajouter les détails ne fait pas prendre vie au personnage ainsi noté, tout au plus peut-on constater qu’il est mort assez jeune. Mon attention a été attirée par le nombre de décès dans une période de plus de 50 ans, en effet au plus le registre se remplissait au plus il y avait de morts. Cela pouvait paraître logique puisque la population de Robelmont augmentait avec la prospérité des forges, tout de même, il me semblait qu’il y avait beaucoup de forgerons parmi eux.
Ce tableau nous donne une idée de ce que pouvait être une durée de vie chez un forgeron dans une période entre 1751 et 1807. Le motif réel du décès est rarement noté sur les actes, excepté si l’on a affaire à ce que l’on nomme “un curé bavard”. Dans le registre des décès/sépultures, plusieurs des forgerons de Berchiwé atteignent 70 voir plus de 80 ans. Il apparaît donc que les décès suivants semblent prématurés. Mais qu’en est-il des actes ainsi juxtaposés, nous révèlent ils davantage de choses ?
Trois de mes ancêtres forgerons quittèrent ce monde dans la force de l’âge.
Le premier fut Nicolas HABRAN uni à Françoise GRAVET (cité à A comme Antre de Vulcain). Nicolas avec qui j’ai commencé cette série, je ne m‘attendais pas à le voir mourir si vite, car à pénétrer ainsi dans leur intimité on s’attache à nos ancêtres, je l’imagine se levant le matin, fourbu du travail de la veille, sa femme à ces côtés et les aînés suivant le père. Ce matin-là, le destin en décide autrement.
En cette année 1751, le drame arrive, Nicolas, maître affineur aux forges de Berchiwé âgé de 54 ans perd la vie. Il est père de 7 enfants dont 6 vivants et Catherine est la petite dernière âgée de 15 ans, l’aîné François né en 1727 est parti à Virton, on en ignore la raison, il a 24 ans. Aucun d’eux ne sont mariés, ils restent donc avec leur mère Françoise et il est probable que leur paye sert à remplir la marmite. Son fils Laurent* né en 1728 a 23 ans et est affineur à Berchiwé, Quintin né en 1730 a 21 ans et deviendra maître affineur comme Nicolas son père, Jean Baptiste DIDIER n’a que 14 ans il est déjà à la forge et c’est lui qui sera l’époux de sa fille Catherine, mais ça Nicolas ne le saura jamais. Les trois fils sont en âge de travailler avec leur père Laurent et Quintin sont à l’affinerie comme lui.
L’affinerie c’est le bruit et la chaleur de l’enfer, à la sortie du Haut-fourneau, la gueuse (pièce de fer) rejoint l’énorme marteau hydraulique qui compacte le “renard” et l’affine pour le débarrasser des impuretés et en obtenir du fer. La méthode wallonne transforme la fonte en fer forgé, elle est réputée pour la qualité du fer Habay produit.
Il faut des années de pratique pour devenir un maître et former des affineurs, Laurent et Quintin en travaillant avec leur père se voient dotés d’un bon maître affineur. Ils devraient passer sous la direction d’un autre mais on n’en trouve pas à cette époque, c’est finalement Quintin qui deviendra maître affineur par la suite, c’est lui aussi dont la vie se termine prématurément et que l’on retrouve sur le tableau ci-dessous, mort en 1778, âgé de 48 ans. Il était père de 7 enfants dont 6 en vie, l’aîné Jacques né en 1763 avait 15 ans et Jean-François était encore un bébé d’un an. L’histoire se répète.
Ce 8 janvier 1789, le glas résonne qui annonce la mort de mon ancêtre Jacques OTHELET affineur, il a 46 ans, l'acte est rédigé par le curé BONAVENTURE.
Mariée avec Anne Marie HENRION * il est père de 8 enfants et il venait juste un mois avant d'enterrer son dernier petit garçon Jean Baptiste âgé de 5 ans et dix mois. La détresse de la mère et des enfants âgés de 22 ans à 9 ans devait être immense.
Registre BMS de Robelmont 1718-1807 – Archives de l’État à Arlon
Transcription :
Sire BONAVENTURE Urbain Récolet administrateur de la cure de Robermont.
L’an de grâce mil sept cent quatrevingt neuf le huit de janvier est décédé vers huit heures et demy du matin muni des sacrements de notre mère la Ste église Jacque OTHELET affineur aux forges de Berchiwé âgé de quarante quatre ans époux à Anne Marie HENRION et a été inhumé le neuf vers les onze heures à lorée de la grande messe dans le cimetière de cette paroisse avec les cérémonies ordinaires par nous administrées en présence des parents et amis et notament de Jean Baptist fermier à Robermont et de Henri HENRION beaux-frères aussi fermier à Grihir, paroisse de Montquintin. Ses beaux-frères ont signés avec nous jour après lecture faite jour et un qui dessus signature.
Et enfin, cette liste d’ancêtres continue par ce jour glacé du 3 janvier 1793, Pierre WILLIÈRE, “meurt aux forges de Berchiwé, bourgeois, marchand employé et résident aux forges dépendance de Robertmont, y est mort dans la communion des fidels ; son corps amené de Berchiwé sur une voiture fut reçu à la porte du cimetière et y enterré le lendemain de son décès... BADOUX Curé de Robermont. “
Source : Registre BMS de Robelmont 1718-1807 Archives de l'État à Arlon.
Pierre est né vers 1730 en dehors de Robelmont, il est marié à Marie Agnès BOUCHÉ, il est le premier de ce nom arrivé à Robelmont, sa fille aînée Marie Thérèse Gabrielle VILLER est née le 18 août 1766 à Charleville (Mézière) dans les Ardennes, la famille est de là, c’est une piste à explorer, ces 6 autres enfants naissent à Robelmont. le plus jeune Pierre Paul * qui sera mon ancêtre a 17 ans, il deviendra forgeron et puis maire, il entrera dans la famille HABRAN en épousant Élisabeth fille de Louis descendant du premier Thomas.
Pierre occupe une place importante dans la communauté, ces enfants ont tous des parrains et marraines qui ont quelque importance. Marie Thérèse née en Ardennes nous indique grâce à son parrain Remy Pierre Gabriel Xavier D’ARRAS Vicomte d’Haudrecy et sa marraine, Demoiselle Marie Thérèse Louise Robertine Josèphe D’ARRAS d’Haudrecy qui sont de Charleville, une véritable piste à suivre pour trouver les feuilles de cette branche.
Que s’est-il passé aux forges ? Des similitudes amènent des questions
Le 2 août 1778, le curé signe deux actes de décès, le premier de Nicolas HABRAN époux de Catherine DARGENT environ 60 ans et celui de Jacques NAHAN. Un accident aurait-il eu lieu dans la forge, la mort de ces deux forgerons ce jour-là interpelle. Tout est possible.
Le 2 octobre 1778, celui de Quintin HABRAN cité plus haut.
Décès de 28 forgerons jeunes et très jeunes dont 5 individus dont l’âge est inconnu.
entre 50 et 60 ans : 13 en jaune
entre 40 et 49 ans : 9 en vert
entre 30 et 39 ans : 1 en bleu
entre 20 et 29 ans : 1 en violet
La vie était très rude en ces temps-là, les normes de sécurité actuelles semblent dérisoires, pour autant que l'on pas connu ces temps anciens.